Un repos bien mérité…
De retour dans sa ville. Cela faisait… Plus de six mois que Yūko n'avait pas remis les pieds à Yokohama. A vrai dire, elle ne savait pas combien de temps exactement s'était écoulé depuis son départ. Moins d'un an, ça c'était sûr. La première chose qu'elle avait fait en arrivant au port était bien évidemment son rapport. Une corvée qu'elle aurait bien déléguée à d'autres, mais elle n'avait pas envie de s'attirer les foudres de ses supérieurs le jour de son arrivée.
La jeune fille fit donc son rapport, lapidaire et précis comme à son habitude. Après cela, aucune autre mission ne lui fut donné, à son grand soulagement : ainsi, elle put prendre congé, et profiter de quelques jours de repos sans mission.
C'est pour cette raison que la mafieuse pouvait donc se promener librement dans la ville. Il faisait encore jour, elle avait donc laissé ses armes au QG ; de toute manière, elle voyait mal un ennemi l'attaquer comme ça à la vue de tous, au milieu de la foule dans laquelle elle faisait toujours attention de se trouver, malgré la répugnance qu'elle éprouvait envers toutes ces odeurs, ces sons : en effet, lorsqu'elle effectuait de genre de sortie, elle prenait toujours des précautions, la méfiance étant presque devenue chez elle une seconde nature. Et, dans le pire des cas, même désarmée elle restait largement capable de se défendre…
Elle entra dans une librairie. Ses pas l'avaient mené là sans même qu'elle ne s'en rende compte : peut-être parce qu'il s'agissait d'un de ses lieux favoris ; la tenante, une jeune femme un peu plus âgée qu'elle, était très sympathique et curieuse, voire même un peu trop ; mais de temps à autre, Yūko n'avait rien contre une petite discussion avec elle… Mais pas aujourd'hui.
Elle prit un livre au hasard, s'assit à une des tables, et ne commença pas à lire. La plupart du temps, lorsqu'elle se mettait à lire, rien ne pouvait l'en détourner, au point que, bien souvent, elle se coupait du monde, se plongeait dans le calme de l'univers littéraire qu'elle appréciait tant, au point d'en émerger bien souvent des heures plus tard. Cependant, la gravité des nouvelles qu'elle avait entendu dans les couloirs du QG coupait court à toutes tentatives de distraction. Enfin, nouvelles…
C'était plutôt des bruits de couloirs, des rumeurs, prétendument authentiques et fiables, plus probablement exagérées par le bouche à oreille des sbires. Mais toute rumeur contient une part de vérité, et celle-ci n'était pas bonne. Du tout.
C'est en remuant ces pensées pessimistes qu'elle feuilletait distraitement un livre, n'y accordant qu'un intérêt très limité, contrairement à son habitude : une fois de plus, l'honneur de la Mafia avait été terni, souillé, sans que des représailles ne semblent prévues. De plus, la trahison était, en son absence, visiblement devenue une mode parmi les mafieux…
« Excusez-moi ? Je cherche un livre... Mais je suis perdu, pourriez-vous m'aider ? »
Plongée dans sa sombre réflexion, elle n'avait pas senti l'inconnu arriver, et elle mit une seconde à se rendre compte de ce qu'il avait dit. Elle leva les yeux de son livre dont elle n'avait pas lu trois lignes et l'observa brièvement : un homme, toutefois très androgyne, notamment à cause de l'élégant kimono qu'il portait ; de plus, il possédait indubitablement des traits asiatiques et savait parler japonais parfaitement, ce qui la laissait perplexe : un étranger, passe encore, mais quel genre de japonais ne savait pas chercher un livre dans une librairie ? Ou alors c'était un inculte, ce qui n'arrangeait pas son cas, pas du tout même, aux yeux de la jeune fille.
Et évidemment, c'était vers elle qu'il se tournait pour chercher de l'aide… Elle aurait bien soupiré, mais il lui restait encore un minimum de savoir-vivre, suffisamment pour, à la place, se lever et répondre poliment à l'intrus avec un sourire tout ce qu'il y a de plus sincère pour ceux qui ne la connaissait pas:
« Avec plaisir. Quel livre cherchez-vous donc ? »