Les mâchoires de l'infortune [Chûya, Stephen]

Quoi de mieux qu’une après-midi de liberté après une affaire durement résolue ? Même sans être habitué à une vie de luxe, cela faisait du bien de pouvoir flâner de temps en temps. Yokohama était une belle ville… Si on oubliait les meurtres et autres horreurs qui arrivaient régulièrement. La météo semblait menaçante, des nuages de pluie amoncelés dans le ciel n’attendaient qu’une chose : tremper tous les passants. Ce n’était pas le temps idéal pour une balade, mais cela ne me dérangeait pas.

J’avais appris à éviter les coins les plus dangereux, étudiant sérieusement les cartes de la ville, les « territoires » des différents groupes. Je n’avais pas envie de me retrouver bêtement là où je ne devais pas être… Ce quartier n’était pas très peuplé l’après midi, mais aussi plus calme que les grands boulevards.

Mais cela n’aura pas suffit à m’éviter de tomber dans une embuscade…

Mon corps réagit presque plus vite que ma cervelle quand des hurlements paniqués parvinrent à mes oreilles sensibles. Courant vers la source du bruit, je distinguais bientôt ce que la voix réclamait, presque au bord des larmes, la parole hachée « A l’aide ! Quelqu’un, au secours !! Aaah ! »

Je parvins vite à l’entrée d’une ruelle et eut un aperçu de la situation. Un sbire portant un uniforme ressemblant à celui des sous fifres de la mafia tenait quelqu’un en joue avec un pistolet. La personne avait l’intelligence de ne pas essayer de s’enfuir, ou alors elle était trop glacée par la peur pour le faire. « Appelez la police !!! S’il vous-- » Coupé par le mafioso lui intimant de se taire, l’homme – peut être un employé ou un cadre – se mordit la lèvre et me jeta un regard implorant. Comment s’était-il retrouvé là ?

Sauver d’abord, réfléchir après.
Ça me perdra.

« Laissez-le ! Et vous, fuyez ! », criai-je tout en bondissant. Je réalisai seulement plus tard que j’avais fait l’erreur de ne pas m’assurer que la ruelle avait une autre issue. Plus loin, la lumière manquait, les bâtiments donnant l’impression de se resserrer et de rendre la rue plus étroite jusqu’à la fermer complètement. Je ne compris que quelque chose clochait que quand je réussis à maîtriser quasi sans difficulté le mafioso, qui ne sembla pas particulièrement chercher à se défendre. Même si ils avaient toute une troupe d’exécutants sans pouvoir, cela me parut bizarre qu’un type seul ne montre pas plus de compétence au corps à corps. J’en avais juste appelé à la force du Tigre sans même me transformer, et ça avait amplement suffit. L’homme quant à lui s’était enfui sans demander son reste à peine j’avais attaqué ; grand bien lui en fasse.

Par contre, j’avais compris mon malheur trop tard, et moi, je ne pourrai pas m’enfuir aussi facilement. Une aura particulièrement forte bloquait le bout de la rue – aura que je ne reconnus pas. Ce n’était donc pas Akutagawa, ni un autre membre de la mafia que j’aurais déjà croisé dans ce genre de circonstances. Probablement pas du menu fretin, en tous cas. Le sbire ne semblait pas mécontent de lui, et je pensai confusément que j’avais échoué une fois de plus.

Et mer.. -

Systèmes d’alerte partant en roues libres, je m’empêchai pourtant de paniquer. M’étant retourné pour découvrir mon adversaire du jour, je tombai face à face avec un cadre de la mafia. Nakahara. Il ne faisait – pour le moment – rien de plus que me bloquer la route, mais cela suffit à déclencher la poussée d’adrénaline associée à un danger imminent. Je me crispais à ses mots et à l’attitude de ses sbires, qui m’entouraient déjà. Certainement il n’était pas seulement là pour me provoquer.

« Apparemment, je vaux assez pour que la Mafia se fatigue encore à me courir après. » Je lui lançai.

Sans attendre de réponse, j’en appelais au tigre, sentant le pouvoir bouillonner dans mes veines, prêt à me métamorphoser à tout moment, à défendre ma peau. Mais je n’eus rien le temps de tenter qu’une autre menace s’invita à la fête. Tournant mon regard vers le roux un moment, je crus discerner qu’il était aussi surpris que moi. Au moins, ce n’était pas un de ses alliés, ou alors il était très bon acteur. Non, une poubelle vola vers lui. Je me rassurai presque qu’ils ne soient pas là pour m’avoir de concert, mais je ne pouvais pas me réjouir trop vite, ignorant les objectifs du nouveau venu. Et à quelle faction pouvait-il appartenir, cet étranger ? Il ne ressemblait pas à un membre de petit gang qui s’attaquerait sans réfléchir à la Mafia ou à l’Agence.

J’aurais du profiter de la confusion du combat pour m’enfuir tant qu’on m’oubliait, mais je n’en eus pas vraiment le temps ou l’occasion, et les murs des bâtiments autour de moi étaient bien trop hauts. Sauter est une chose, mais j’aurais dû escalader, faisant de moi une cible facile.

Les hommes de main de la mafia fuirent mystérieusement, comme effrayés ou attaqués par quelque chose que je ne pouvais pas discerner. L’homme avait un pouvoir et pas des moindres, on dirait, mais lequel ? Comme prévu, sa phrase suivante m’empêcha de me reposer sur mes lauriers. Oh, bien au contraire, j’étais doublement en danger. Dire qu’à ses premiers mots, j’aurais presque pu être d’accord avec lui. A quoi est-ce que je m’attendais ? Il fallait que je me sorte de là de toute urgence… En plus, c’était encore moi qui m’étais mis dans une situation débile. Seul. Et si je ne me débrouillais pas pour m’en sortir maintenant, l’Agence allait encore devoir déranger ses plans pour venir sauver ma peau.

Beast Beneath the Moonlight -

J’avais déjà transformé mes membres quand l’homme s’approcha de moi après avoir mis – pour bien peu de temps, je pense – Nakahara “hors d’état de nuire”. Je le jaugeai d’yeux jaunes brillants, ma colère et ma frustration augmentant à la manière dont il s’adressa à moi, me tendant sa main comme s’il me croyait assez suicidaire pour la prendre. Mais je n’avais quand même pas atteint ce stade. Et je m’étais déjà fait rouler dans la farine une fois aujourd’hui.

Je bondis légèrement en arrière, les pattes atterrissant dans une vieille flaque dont je ne voulais pas connaître le contenu. M’enfonçant de fait plus loin dans cette ruelle sordide ; mais je voulais me mettre hors de sa portée immédiate. Je lui criai, un peu hargneux, comme pour cacher la crainte qui me hérissait l’échine :

« Je ne suivrai personne nulle part, surtout pas un ennemi qui ne déclare même pas ses intentions. Et j’en ai marre qu’on essaye de jouer avec ma vie ! Si la Mafia est de la pire espèce, vous n’êtes probablement pas mieux. »

J’avais finis par connecter quelques points pour supposer qu’il appartenait à la Guilde, surtout vu le diminutif de son ordonnateur, ça me disait quelque chose. J’avais déjà dû en entendre parler. Heureusement que je faisais attention aux briefings.

Je décidai que le danger le plus immédiat à mon encontre était cet homme aux cheveux bruns – la mafia était peut être une bande de fous, mais en matière de civilité ils s’en sortaient sur le coup un tout petit peu mieux. Voyant dans son regard sombre que ma réponse ne changerait rien à ses intentions… Je m’élançais vers lui toutes griffes dehors, pour lui décocher un méchant coup de poing et l’éloigner de mon chemin. Avec un peu de chance je pourrais me sortir de la ruelle avant que le rouquin s’en mêle à nouveau ; et mettre assez de distance entre eux et moi pour appeler l’Agence et les mettre au courant de la situation.