if you dare nothing, then when the day is over

Je retire un écouteur, attiré par un son différent de celui que diffuse mon appareil et regarde autour de moi. Là, au milieu de la foule infatigable, une jeune femme tournoie sur elle-même en s’époumonant d’une chanson que personne ne perçoit. Personne excepté moi. Je m’arrête alors pour l’écouter jusqu’au bout, nullement pressé par le temps, contrairement au troupeau de moutons autour de nous. Aucun d’eux ne se doute un seul instant de cette jeune chanteuse qui tente de leur faire parvenir sa dernière prestation. Je serai ton spectateur, ton unique public, jusqu’à ce que ton âme s’apaise.

Une nouvelle voix se joint à la tienne, s’adressant directement à moi et je me détourne un court instant de toi pour l’écouter, découvrant alors une demoiselle égarée. J’arque un sourcil en la considérant puis lève lentement une main devant elle pour l’arrêter de couvrir le son de ta voix, souhaitant en être le témoin jusqu’à la dernière note. Je tourne la tête vers toi et j’aperçois ton sourire, celui que tu m’adresses avant de t’incliner pour marquer la fin de ton spectacle. Je souris à mon tour, applaudissant silencieusement, et tu disparais l’instant d’après.

Un soupir s’échappe de ma bouche et je donne enfin toute mon attention à la petite blonde – qui devait sûrement se demander ce qu’il clochait chez moi mais, soyons honnêtes, cela fait bien longtemps que tout ceci ne me dérange plus. Si je me souviens bien, elle me demandait une direction ; pour se rendre à une certaine cafétéria dont le nom m’a déjà échappé. Oups. Toutefois, il me suffit d’un regard à sa droite pour trouver une réponse (pour qu’on m’offre la réponse).

« Aaah, oui. La cafétéria Hanatoyo. » Je n’ai pas la moindre idée d’où elle se trouve. Le jeune homme à l’air inquiet à ses côtés, en revanche, le sait. Et je lui offre les indications grâce à lui. « … puis tout droit. La ville est un vrai labyrinthe. Oh, tant qu’à faire, je me dirige à peine plus loin, je peux vous y escorter ? » C’est faux, mais comment pourrait-elle le savoir. J’esquisse un sourire qui se veut avenant – mais à qui est-il destiné ?

if you dare nothing, then when the day is over

Je ne suis pas certain que le mot fatigué soit réellement le plus adéquat pour qualifier l’état de la jeune dame. Plus je la regarde, plus ça me frappe, à quel point ses épaules tentent d’être hautes mais qu’on pourrait presque sentir le poids posé dessus. L’inquiétude que je peux voir sur le visage de cet homme, penché par-dessus son épaule, déteint sur moi assez rapidement. Son problème devient alors le mien.
Je secoue doucement la tête, balayant ses mots d’un vague geste de la main, comme si je lui disais qu’il n’y a pas à s’en faire, que je suis là de mon plein gré - et c’est le cas. Mon buste se baisse, avalant l’espace entre nos visages en un instant, et je l’observe de mon unique œil. Oui, elle n’a pas l’air fatiguée, mais exténuée, dans le besoin d’un peu d’air frais, d’une pause, d’un bras sur lequel s’accrocher, d’un appui. Une ancre, sûrement. Mais, je m’avance un peu. Mes suppositions ne sont pas forcément les bonnes.
« Devez-vous forcément la trouver ? Dans l’immédiat ? » Demandé-je, sur le ton de la confidence, la voix basse et un sourire complice sur les lèvres. Comme à mon habitude, je n’en fais qu’à ma tête, à me mêler de ce qui ne me regarde pas, à m’immiscer où on ne me désire pas. Seulement, j’ai en ma possession des informations qu’ils veulent tous – des informations qu’on pense perdues à jamais, emportées dans les tombes ; celles-ci même auxquelles j’ai un accès illimité.
« J’ai une autre proposition pour vous, » commencé-je, en levant mon index devant ses yeux. « Pourquoi pas prendre une pause, boire un café, un thé, peu importe ce qui vous sied le mieux, et reprendre ensuite votre route sur de meilleures bases ? »
Je me redresse, en haussant légèrement des épaules, comme si j’abordais cette situation avec nonchalance.
« Je ne sais pas qui vous allez voir ainsi, mais je doute que vous ayez envie qu’on remarque votre fatigue. Vous pourriez en inquiéter certains, et donner de mauvaises opportunités à d’autres. » Lui conseillé-je.

if you dare nothing, then when the day is over

Nul besoin de s’étonner quant à l’inquiétude que ressentait cet homme (son frère, me souffle-t-il). Je le ressens aussi, à présent, en la voyant si jeune, si douce, si fragile. Elle m’effraie, à me donner ainsi l’impression de porter le monde sur ses épaules, prête à s’effondrer à n’importe quel moment. Je l’écoute, tendant l’oreille pour ne rien rater de ses mots, et elle me soutire un sourire. Peut-être est-ce juste les sentiments de son frère qui déteignent sur moi, mais je ressens cette envie de la protéger, comme si c’était ma petite-sœur.
« Oh, je n’ai fait que vous donner un petit conseil d’ami, » lui dis-je en faisant un vague geste de la main. Je me baisse, à nouveau mais un peu plus qu’avant, pour l’observer d’un angle différent. Pour réussir à contempler son visage, alors qu’elle se tient chétive devant moi, comme si elle se cachait. Ou se protégeait ?
« Mais, puisqu’on y est… J’ai une question pour vous, » commencé-je, fronçant un peu les sourcils. Je me recule un peu, toujours penché pour attraper son regard, lui laissant un peu d’espace. Un peu d’air. Je ne voudrais pas qu’elle se sente menacé par ma présence. Qu’elle se rétracte et que je perde toute chance de lui venir en aide.
« Est-ce que vous allez bien ? » La questionné-je, d’une voix aussi douce que possible, incapable toutefois de masquer mon inquiétude. Pourquoi le cacherais-je, après tout ? S’en faire pour quelqu’un n’a jamais été un problème, que je sache.